JOURNAL D'UN FOU DE HAÏKU
Points de vue - Chapitre 4




PERDU DANS  LE NUAGE DE OORT

 

L'été avait passé et il ne s'était rien passé, enfin presque rien.

Les gros blocs argentés étaient toujours en place dans le nuage de Oort et aussi le mien perdu dans ses milliards de blocs de glace ou de tout ce que l'on veut et à au moins cent mille unités astronomiques de la terre, soit cent mille multiplié par cent cinquante millions de kilomètres, qui est le nombre de kilomètres d'une unité astronomique et la distance terre- soleil, c'est à dire ma particule à quinze mille milliards de kilomètres de la terre.

J'étais très loin.

Il y avait bien eu la grosse grenouille qui plonge dans la mare quand je m'approche, me faisant sursauter à chaque fois, me maudissant d'être si dans la lune et d'oublier à chaque fois qu'elle est sur sa pierre de la berge se rechauffant au premier rayon de soleil.
 
Egalement le fait que juste après son plongeon, revenant à la surface et se retournant pour me regarder de ses yeux noirs et dorés, elle semble dire :
- Mais pourquoi j’ai peur de toi ?


Le bruit de mon pas
le saut de ma grenouille -
q’une paire d’yeux






Il y avait bien eu les jeunes petits pruniers, qui poussent à l’abri du vieux chalet, fait de bois comme eux et datant de la dernière guerre en Europe, avec ses trois clapiers sans lapin depuis longtemps, heureusement remplacés par ces grandes folles d’araignées toutes dégingandées, friandes de grosses mouches, s’égarant derrière le grillage. L’élevage était différent.

Ce jour là, peut être fin août, donc je m’assieds confortablement dans mon fauteuil de jardin décidé à écrire un nouveau haïku. Je dois vraiment m’appliquer, il doit être réussi.

Mais comment faire?
Imaginez la scène : Je suis assis dans un vieux fauteuil en plastique blanc, bientôt gris tellement il traîne depuis longtemps sous tous les temps.

A ma droite, à portée de mains, un tas de grosses billes de bois, les troncs de deux ifs femelles, trop massifs, dont les baies empoisonnaient mes petits poissons rouges.

Cette parcelle sauvage du fond du jardin n’est pas très grande. Pour me consoler,  il reste ce grand if mâle, devenant immense et aux longues branches retombantes, sous lesquelles j’aime rêver et méditer et parfois boire quelques bons petits verres de vin frais, pour me donner  plus d’esprit  tout en me désaltérant.

Ce jour là mon verre est vide.

Tout est calme, le temps est très doux.
Le jardin semble endormi et je n’entends pas piailler les pinsons, ni les petits cris des mésanges bleues, surgissantes en bandes de je ne sais où.

J’ai lu, que le grand maitre Basho disait que les haïkus s’inscrivaient dans la philosophie de l’esprit Zen.

Je vais être Zen .

Donc,  à ma droite,  les grosses billes de bois avec mon verre posé dessus et bien vide.

Au dessus de ma tête et assez haut, les longues branches de l’if, laissant passer la lumière.

Devant moi, un peu à droite, le début d’une grande haie de laurier cerise, une variété tres ancienne aux belles feuilles rondes, le rotondifolia.

Sur ma gauche et devant siège le vieux chalet bientôt centenaire, si il ne l'est pas déjà.

D’abord je dois faire le vide dans mon esprit et ne plus être envahi par toutes ces pensées parasites. 

je regarde à trois, quatre mètres devant moi les feuilles du laurier cerise.

Je ferme les yeux, l’image des feuilles est là,  imprimée dans mon esprit. Ouvrant les yeux doucement, je les retrouve.

Ne plus penser qu’à ces feuilles dans mon étroit champ de vision de cet instant.

Ne plus penser" feuilles" voir juste la feuille, sans la pensée.

Mon esprit se vide et, curieusement, je me ressens comme une feuille doit l'être, c’est à dire qu'il n'existe plus grand chose de moi.

Mon regard glisse doucement de feuilles en feuilles sur la gauche.

Pensée, esprit et mots s’échappent.

Et c'est la vue sur le vieux chalet aux vieux poteaux de bois qui penche de plus en plus.

Une vieille porte de bois,  ouverte,  habillée d'une sorte de  grand fer plat et étroit, tout rouillé, cloué en diagonale et maintenu par de vieux clous à tête carrée.
Il retient les larges planches verticales.

La porte tout de travers est entrouverte, le bas coincé sur une butée de terre.

Il y a deux ouvertures de chaque côté , espaces sans planches,  comme de grandes fenêtres inachevées  ouvertes sur l'extérieur, fermées juste  par un ancien grillage à poules.

Tout près de l'ouverture de droite, un jeune prunier fin et tout raide pousse là. 

Je ne vois le bas de la porte, ni le haut où sont dessus les vieilles tôles.
Ma vision est focalisée sur le milieu de porte, avec un peu de grillage et le petit prunier .

C’est tout.



Je suis bien, l'esprit vide de toutes pensées.
Je me sens léger.

Je suis là, devant moi. Je ne suis plus assis sur ma chaise où je suis pourtant assis.

Je suis cette porte, ce bout de grillage, ce bout de tronc fin comme un crayon du petit prunier.

Le temps s'écoule.
Après un temps indéfinissable,  soudain, à la limite de mon champ de vision, en bas et à gauche apparaît quelque chose de dressé, semblant avancer doucement.

Je n’y fais pas attention.

Mais l’intrus du bas avance lentement.

Je ne baisse toujours pas mon regard mais je le devine,  passant devant le bas de la porte.

Enfin, baissant à peine mon regard je distingue mieux une sorte de gros pinceau dont l’extrémité plus fine oscille doucement.

La queue de mon chat, dressée, passe nonchalamment.


Les petits pruniers
dressés là au vieux chalet -
queue du chat aussi !





J’etais donc parvenu à une ou deux années lumière de la terre et je voyais tout là bas, tout en fond de l’espace, Proxima du Centaure encore à des milliers de milliards de kilomètres.

C’était juste une petite marche à faire et un peu d’exercice me ferait du bien.

Cette nuit je pensais et repensais à mon excursion du lendemain.

J’avais oublié de prendre quelques vêtements chauds et d’ailleurs depuis mon départ de la terre, j'étais nu comme un vers, avec comme seul bagage mon esprit, oubliant de surcroît mon corps sur sa chaise.



haiku -dans les étoiles- jissé R - blog -journal d'un fou de haikus

Comment je suis là ?
si loin dans les étoiles -
depuis mon fauteuil





Il y avait bien eu ce phénomene étrange dans un pot de lavande.
 
Fin septembre, je décide de repiquer de petits plants de lavande,
Je suis installé sur une vieille table de camping, me servant de table d’horticulture.

Le pot mère de plans de lavande est posé dessus et entouré d’autres pots de terre de petites tailles et encore vide.
Un bon substrat, mélange de terre, de sable et de terreau les attend.
 
Armé d’une petite pelle en métal, j’extrais quelques plants, les plus forts, en prenant soin de prélever de l’ancienne terre adhérante aux petites racines.

Soigneusement plantées une par une dans un nouveau petit pot, prévu pour chacune, elles semblent mieux respirer.

Quelque chose se mouvant, attire mon regard.

Un énorme vers de terre, gros comme mon petit doigt se tortille sur la table.
Je veux le saisir, il se débat comme un forcené, s’enroule autour de mes doigts.

Jamais je n’ai vu un vers aussi gros et aussi nerveux .

Il allonge sa longue queue , s’étire, se retracte.
Je finis par le saisir fermement à deux mains et délicatement le pose à côté, dans une bordure, en prenant soin de le pousser sous quelques feuilles.

Tout à mon émotion, je reprends mon repiquage. Quelques minutes plus tard,   je retourne le voir où je l’ai laissé.

Il a disparu, je suis soulagé !

Mais d’où venait ce gros vers?

Quand j’ai pris de la terre de jardin ou du sable sur le tas, je l’aurais vu et je n’ai rien vu.

Ma bêche pouvait aussi le couper en deux, mais ici sur la table il était entier.

Le terreau était dans un sac, provenant d’un magasin de fournitures. Il ne pouvait venir de là.

Je ne me souviens pas l’avoir vu, quand j’ai pris les  premières petites pelletées avec les petits plants.

Si gros, je ne pouvais le manquer.

D’où venait-il ?
Venait-il du fond de ce pot ?

Ce pot carré qui ne fait pas plus de 20 centimètres et si c'est le cas,  il devait vraiment être à l’étroit et pourtant il est devenu si gros.

Il était d’une vitalité exceptionnelle !

Mais peut être et après tout, il était passé par le petit trou au fond du pot, étant tout au départ au stade d’un minuscule et jeune vermisseau, se frayant son chemin sous la pelouse, le pot posé sur l’herbe rafraichissante.

Ou peut-être un vermisseau qui se tortillait déjà dans le bec jaune d’un merle, dérangé par le chat et le merle le laissant chuter dans le pot aux lavandes.

J’eusse aimé connaitre sa veritable histoire et j’en imaginais une multitude.

Le jardin s’animait d’une infinie de petites créatures proposant leur histoire, jusqu'à la musaraigne au petit nez pointu, l'ayant vu à l'entrée du pot.

Ainsi j’écrivais en ce début d'hiver cette étrange histoire d’un gros vers doté d’une force peu commune, venu je ne sais d’où.

Cette association, l’idee probable de ce gite et du couvert offerts à ce vers formidable, profitant de cette terre parfumée, procurant en retour aux lavandes par une soigneuse alchimie une terre bien riche, tout cela me remplissait de bonheur et d’admiration.

Mon voyage dans les étoiles devenait fantastique.

Mon excitation était à son comble. J’étais aux anges.

Ma vitesse s’accéléra de plus en plus, bien au delà de la vitesse de la lumière,  bondissant d’étoiles en étoiles en un milliardième de secondes, pourtant distantes les unes des autres de plusieurs milliers d’années lumière.



Comme un diable
sort du pot de lavandes
le vers de terre




Tout à coup,  je pris conscience que bondissant ainsi d’étoiles en étoiles aux confins de l’univers, je pouvais me perdre.

A peine avais-je fini d’exprimer cette pensée que j’avais rejoint mon corps et comtemplais à
nouveau la grande voie lactée.

Soudainement, je me retrouve encore ailleurs dans l'univers,  sans doute beaucoup plus loin . Devant moi c’est une sorte d’immense océan aux vagues noires et irisées.

Me retournant,  j’apercois des milliards de soleils , tous de couleurs et de grandeurs différentes, gigantesques ou minuscules, tournoyant et se rejoignant , explosant et recommençant à tournoyer dans un ballet insensé .

Devant, l'océan renouvelle sans cesse ses flots,  avance à une vitesse prodigieuse vers un fond sans fin, de plus en plus clair dont la seule limite est celle de ma vision, se déplaçant à chaque nouveau bond que je fais , pour tenter d’attraper la limite sans limite de l’infini.

Je décide de m’aventurer davantage.

C’est une course folle où je vais toujours plus loin. Je fais un bond immense, m’échappant des vagues pourtant tellement douces et franchis le bord des dernières vagues déferlantes, aspirant comme des lèvres, ce tapis infini.

Un haiku vient frapper mon esprit :

Comme les lèvres
 d’une mère aimante -
 d’amour infini

Je m'enfonçais davantage dans l'infini, me retournant une dernière fois...


 Levant la main
pour arrêter les chevaux -
leur souffle brûlant




Printemps 2025, mois de mai.

Il m’a fallu beaucoup de temps pour revenir du fond de l’univers.
J’ai poursuivi mon exploration jusqu’a l’infini.

Il n’y avait rien, rien que moi et si heureux , courant, ivre de liberté dans le vide, que l'univers essayait sans fin de rattraper pour l'occuper.

Je suis au jardin dans mon vieux fauteuil incrusté de lichens.
Devant, la petit table de camping rouge, au revêtement de faux formica qui part en lambeaux, usée par tant d’hivers,de pluie, de froid et de soleil brûlant.

Je me sens bien, j’écris.


Des gouttes froides
 le ciel au lavis de gris -
 la glycine s’en va


L’ horloge du temps se trompe, un instant paraît une éternité.
Un long moment semble si court.
 
Revenant de mes voyages au fond de l’univers, je ramenais la fusion du tout dans le vide où le temps n’a plus d’importance, absorbé dans l’espace sombre du vide.

Rien n’était différent et singulier - la mort des soleils était aussi ma propre mort, disparaître , renaître.

Je devais donc renaître par simple logique.
 
Cette idée me remplissait d’espérance, mais reverrais-je ce printemps aux boutons d’or se succédant aux pâquerettes et aux petits soleils étoilés du pissenlit.

J'avais saisi le sens du tout, de l’infini, du vide, du rien et du temps et par conséquent de la vie, en faisant naturellement partie.

Mais de ce sens, il n’y en avait pas, et, pour le comprendre, il fallait tout oublier.

Tout était rien, rien qu’impermanence.
Tout naissait, tout mourrait, tout renaissait et cela n’avait aucun sens.

Oublier, oublier, en oublier le sens, n’en chercher plus le sens et oublier.

Mais après la mort, puisque je devais renaître comme renaîssaient les étoiles à partir des gaz et de la matière autour d’elles, quel était le sens, le sens de l’après ?

Un changement. En effet quel changement !

Et cela s’inscrivait comment ?
Dans une sorte de loterie ?

Pourquoi après ma mort cela serait-il mieux ou moins bien?

Tout cela dependait de moi, non? de ce que je suis et donc de ce que je veux. Comme je suis, je le veux.

La pluie froide, maintenant tombait comme des hallebardes, bousculées dans les rafales de vent.
Il y avait une sorte de message dans cette avalanche d'eau.

J’eûs tout à coup l’envie de me mettre nu, sous elle, lui offrant mon corps.
Ma montre semblait s'être arrêtée et j’écrivais.


Le temps disparu -
  le brin d’herbe se dresse-
ce pas lourd lointain


Ce n’était pas seulement un fantasme plus ou moins gratuit,  car peut être il y avait-il un prix à payer ou pour me prouver je ne sais quoi, mais plutôt c’était une sorte de provocation, une forme de plaisir aussi, dans un acte volontaire, tyrannique.

Je savais qu’elle m’offrirait un cadeau en retour.

Un cadeau c’est agréable , donc il ne s’agissait pas d’attraper un rhûme, bien que ce fût une éventualité, mais c’était une communion intime avec la terre, la pluie, le ciel et la vie.

Un message secret m’attendrait alors.
J’en étais profondément persuadé.

Le ferais je ? nu sous la pluie froide?
Un jour peut-être.

Oui je le ferai, demain, après demain, bientôt, de la pluie est annoncée.

J’écrivais :


Tout nu sous la pluie
 le ciel pour témoin, m’offrant-
un oiseau chante


Une étoile bienveillante me rechaufferait.
Sa chaleur envahissante me donnerait le courage de repartir, mais vers où ?

Comme moi, les astres me tendraient les bras, viens ici, viens là !

Je pris conscience que je n’étais pas seul et que tous voulaient aussi vivre pour leur plaisir.
 

Toute abandonnée
contemplant les étoiles-
la forme bien née


La pluie délivrerait -elle son message ?

je m’endormis beaucoup plus tard, songeait.


les grandes herbes
balancées au vieux chalet
les cheveux au vent


20 mai 2025, le ciel s’obcurcit lentement en début d’après midi.

Buvant le vin rosé rafraîchi dans l’arrosoir, je pense.

Un bon déjeuner m’attend et finissant mon verre, je quitte mon vieux fauteuil. Il est presque trois heures.

21 mai 2025, le temps est lourd et à la pluie.

Ciel voilé, la pluie arrive, beaucoup de lumière inonde encore le jardin.

Ma coupe est pleine, je la vide d'un trait et pars déjeuner encore plus tard qu'hier.

J’attends, je suis prêt. Je serais là, j'en fais le serment.

18 h, tout à coup je me dresse comme un diable de mon lit, j'entends la pluie battre sur les vitres.
je m’habille en toute hâte, vêtements et chaussures de pluie, serviettes,  je n’oublie rien.

Dehors c'est glacial, je marche vers le jardin, plié en deux, me déshabille dans le chalet, sors nu dans la prairie, j'ai froid et j'ai chaud, les arbres vaçillent et craquent, une vrai tempête, j'ai peur.

Le grand if fouette l'air et le sol de ses longues branches pendantes, telle une hydre énorme blessée à mort. L'une d'elles me fauche soudainement comme une vulgaire quille de booling.

Dans un bond, je me réveille et me dresse sur mon lit avec le coeur battant la chamade, je suis  en sueur.

 J'entends quelques secondes plus tard le clap de la chatière, ma chatte "cocotte" saute sur mon lit et pousse un petit miaulement plaintif, très doux.

Je la caresse et de plaisir elle  tourne et se retourne sur elle même, en se frottant longuement  sur ma main.


le poil humide
sur le dos de ma chatte -
 le poêle fume


à suivre....











Jissé R. © tous droits réservés - 2024
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